Un thriller oenologique, en forme de curieuse parabole

Tout devrait être à peu près clair dans ce qui arrive à Giovanni Cuttin, que tout semble accuser du meurtre de sa femme, du moins dans la confession qu'il fait à l'inspecteur San Felice qui vient de l'arrêter et auprès duquel il clame son innocence. Ce ne serait rien d'autre que l'histoire d'un simple employé de banque qui, parvenant à la direction de l'établissement en même temps qu'il devient expert en oenologie et collectionneur de grandes bouteilles, suscite la jalousie de son épouse, qu'il trompe allègrement, tout comme celle de ses collègues, qui supportent mal son ascension dans la hiérarchie. Or, il affirme avoir plusieurs témoins qui devraient établir sans peine qu'à l'heure où son épouse était assassinée, lui-même était avec une autre femme, somptueuse, occupé à tout autre chose. Tout devrait donc être simple si d'abord l'existence de cette femme mystérieuse, dont il ne sait pas le nom, n'était elle-même problématique, et si surtout les différents témoins qu'il cite ne contredisaient ses affirmations ou, plus mystérieusement encore, ne disparaissaient.

Tout est donc moins clair qu'il n'y parait de prime abord. Et c'est bien là ce qui fait le charme subtil du film de Ferdinando Vicentini Orgnano que de se présenter comme un thriller ancré dans une réalité à la fois identifiable et originale : la passion d'un homme pour le vin, ses progrès dans l'art de le connaitre et de le déguster, et la prestigieuse cave qu'il se constitue en se ruinant littéralement. Or l'apprentissage qui a engendré cette dévorante passion lui est venu d'un mystérieux professeur - qu'incarne avec un côté impérieux et machiavélique un Lambert Wilson parfait en esthète distingué - lequel l'a abordé entouré de trois disciples qui ont pour nom Luc, Marc et Mathieu. Giovanni - Jean - feraient donc idéalement le quatrième, donnant à ce maitre un sens christique évident, si celui-ci ne semblait animé d'intentions nettement moins catholiques. Le film, mêlant habilement réalité et symbole dans un flou artistique qui crée une sorte de brouillard bien en accord avec l'ivresse due aux nombreuses bouteilles débouchées, propulse alors le thriller oenologique, déjà savoureux, vers une parabole diabolique et bien corsée, à déguster comme telle.

Jean Serroy